Les responsables de la gare Union s’apprêtent à retirer un vaste système d’enclenchement qui a guidé l’entrée des trains à Toronto

le système compliqué tirera sous peu sa révérence, quoiqu’il aurait pu sans aucun doute fonctionner

13 nov. 2019

Dans la longue boîte métallique, les synapses électriques interagissent tels des neurones dans un cerveau.

L’odeur de l’endroit rappelle celle d’un vieux coffre à outils de grand-père. Et bien que la boîte soit probablement aussi longue qu’un garage à une voiture, il est impossible d’y allonger pleinement les bras sur les côtés sans déranger d’importants gadgets ou interrompre le courant essentiel dans des bobines dont les fils serpentent jusqu’à des trous et se rendent à la pièce en dessous.

À ce niveau inférieur, l’électricité circule dans une série de relais de type K en verre, le tout installé sur d’épais panneaux de bois qui étaient autrefois régulièrement huilés pour en préserver la qualité et le lustre. Chaque fil suit un tracé passant par des trous identifiés en ordre alphabétique et en chiffres avant d’être relié à un véritable dédale de fils sur d’autres panneaux électriques.

Et de là, les pulsations sporadiques sortent de trois postes de vieilles briques construits au centre-ville de Toronto vers 180 dispositifs de signalisation et 250 dispositifs d’aiguillage qui dictent le mouvement de 900 trains – des trains de GO aux trains de marchandises en passant par ceux d’UP Express et de VIA Rail – circulant quotidiennement sur les 6,4 km du corridor ferroviaire de la gare Union.

La boîte, de même que le réseau de fils et tous les autres dispositifs, font partie de quatre systèmes d’enclenchement électromécaniques. C’est à partir de cette technologie des années 1920 que deux chefs du mouvement des trains de la Toronto Terminals Railway (TTR) à l’intérieur du poste de John Street s’emploient de nos jours à tirer et à pousser des leviers noirs et rouges qui enlignent les éléments extérieurs de la boîte. Ce faisant, les deux chefs écoutent pour entendre, au milieu de trains circulant sur 16 voies potentielles juste à l’extérieur de leur fenêtre et des messages de répartition crépitant à la radio, le double cliquetis indiquant la bonne position d’un levier pour envoyer un train sur le bon parcours.

Les leviers ont été utilisés 24 heures sur 24, 365 jours par année depuis leur entrée en fonction au début des années 1930, après la construction de l’installation au début des années 1920. À l’époque, le tout a dû sembler une merveille technologique, car c’est toujours le cas aujourd’hui.

Bien que, se rappelle Vito Parisi, qui a commencé à surveiller les systèmes d’enclenchement il y a 35 ans : « J’y voyais au début seulement un fouillis (de fils). »

« Je n’avais jamais rien vu de tel avant. »

Un système d’enclenchement ferroviaire est un système de dispositifs de signalisation et d’aiguillage à sécurité intégré qui prévient le mauvais mouvement d’un train sur un parcours. C’est un genre de volant, mais invisible. Même au début de carrière de Vito, ce système complexe visant à acheminer les trains sur la bonne voie était déjà plutôt ancien. Toutefois, fait remarquer Vito, le système – testé sur plusieurs générations – a été conçu avec brio et mis en place d’une main de maître.

Il demeure pratiquement sans faille dans sa conception fonctionnelle.

« Il est impossible de l’apprendre en une semaine ou en un mois », explique Vito à propos de son expérience avec le réseau de dispositifs et de signaux électriques. « En fait, on n’arrête jamais d’en apprendre dessus. »

« C’est un exemple de logique à relais. »

De nos jours, Vito, semi-retraité, se penche encore à l’occasion sur les systèmes d’enclenchement à titre de consultant en signalisation et s’intéresse grandement à l’installation par Metrolinx d’un nouveau système d’enclenchement à base de microprocesseurs visant à contrôler tout le corridor d’ici quelques années. Autrement dit, le système d’enclenchement dirigé par les postes-vigies sur John Street, Cherry Street et Scott Street arrivera bientôt à la fin de son parcours.

Le changement doit se faire de façon systématique, car les trois postes actuels, dotés d’une technologie des années 1920, continuent d’émettre leurs cliquetis et leurs sons sourds en arrière-plan. D’après les experts, si l’on exclut l’incapacité du système à permettre une hausse du nombre de trains et les difficultés de trouver les pièces de remplacement, le système aurait pu techniquement continuer à faire avancer les trains pendant encore un siècle peut-être.


La vérité, c’est que bien peu de personnes aujourd’hui seraient en mesure de construire un tel système d’enclenchement électromécanique, dont de nombreuses composantes ont été importées de Rochester, dans l’État de New York. C’est tout simplement une merveille d’une autre époque et, bien que la plupart des grands corridors ferroviaires s’appuyaient sur un système très similaire, le système à la gare Union est peut-être le dernier du genre en Amérique du Nord.

La modernisation requise du système, qui prévoit des points d’accès à distance pour recueillir rapidement des données de diagnostic, suppose 258 circuits de voie, 35,4 km de conduits et plus de 305 km de câbles.

Pour les clients, la modernisation signifiera des déplacements à une vitesse accélérée dans le corridor et une capacité de réserve en vue de l’expansion future du réseau.

Pour la boîte, cela signifie la fin de la ligne et du temps.

Les travailleurs descendent d’environ 76 cm pour entrer dans la boîte de type casier à l’installation de John Street, surnommée « le trou ». Quant à ceux à l’extérieur, ils tirent et poussent les grands leviers et regardent un plan sur le mur muni de voyants indicateurs qui racontent l’histoire des parcours au cœur de Toronto, tandis que divers crans mécaniques se remplissent ou se vident de tiges métalliques, selon le choix fait. Il faut voir le tout comme une boîte à puzzle – à mesure que des choix sont faits et que certaines pièces bougent, des portes s’ouvrent et d’autres se ferment. Au milieu de tous ces mécanismes brillants, mais vieillissants, le système continue d’empêcher les trains d’entrer en collision entre eux sur les voies.

« À part peut-être les lumières, bien peu de choses ont changé ici depuis le premier jour de fabrication », déclare David Kolbasovsky, gestionnaire de Metrolinx des systèmes de signalisation et de communications, tandis qu’il se déplace dans « le trou ».

« Le système est extrêmement sûr et bien plus fiable que ce que les gens pensent. C’était la voie même de l’avant-gardisme (dans les années 1920). »

Le nouveau système sera installé à l’extérieur des postes-vigies, y compris à l’installation de John Street. À titre de bâtiment patrimonial, l’installation ne peut pas être modernisée adéquatement. Il est toujours incertain quand ce type de sentinelle derrière les voies cessera définitivement d’envoyer ses pulsations électriques.

Ce jour-là, tout comme le changement aux deux autres postes-vigies, passera probablement inaperçu aux yeux des clients de GO Transit et d’UP Express. Ce jour-là, les déplacements des clients seront soudainement guidés par des puces informatiques et des flux de données plutôt que par des leviers mécaniques, des cliquetis d’un langage dépassé et des ampèremètres fluctuant selon le courant électrique.

Le changement amènera d’autres améliorations et avancées. Metrolinx ne s’occupe pas de la répartition des trains pour le moment. D’ici la fin de 2022, l’agence devrait répartir tous les trains de GO et d’UP Express au moyen du « système de contrôle ferroviaire de GO Transit ».

Le sort de la boîte de type casier, en service depuis 1932, demeure encore incertain, tout comme celui des murs de relais uniques sur leur support en bois dans un réseau s’étendant à partir des trois postes-vigies. Certains de ces relais n’ont pas été retirés de leur support en vue d’une modernisation depuis les années 1950.

Mais pour le moment, ils sont les témoins du temps de la plus grande installation de trains pour passagers au Canada, comme ils le font depuis toujours, aussi longtemps en tout cas qu’on peut s’en souvenir.


par Thane Burnett Manager of editorial content for Metrolinx