Se mettre à la place d’un jeune sans-abri l’instant d’une nuit

Les volontaires ont reçu un scénario, un sac de couchage, un billet d’autobus et quelques dollars.

11 mars 2019

Il fait froid dehors.

Vous attendez le bus et vous ne sentez ni vos jambes ni vos mains. Vous avez faim et vous avez hâte de rentrer à la maison pour vous réchauffer et prendre un bon repas.

Que feriez-vous si vous n’étiez pas sûr de pouvoir manger ou d’avoir un endroit où dormir ce soir?

Dans le cadre d’une campagne de financement et d’éducation organisée par 360o Kids (un organisme de la région de York qui offre des programmes de soutien aux familles, et particulièrement aux jeunes sans-abri et à risque) des participants ont récemment été invités à passer une nuit à faire face aux conditions auxquelles sont confrontés les jeunes de la rue.

Parmi les participants à l’Expérience 360o se trouvaient des bénévoles de Metrolinx, dont Donna Fraser, Jay Kangas et Jessica Langley, qui travaillent pour Transit Safety.

L’expérience consistait à faire face, sur le terrain, aux dures réalités de la rue telles que la recherche d’un endroit pour dormir ou d’un repas chaud par une nuit froide.

La question que se pose 360o Kids est la suivante : vous seriez inquiets si un enfant de six ans était dans la rue. Alors pourquoi pas pour un adolescent de 16 ans?

Fraser était jumelée à Langley. Ensemble – après que les participants aient reçu divers scénarios, comme loger dans un refuge – elles ont eu un aperçu des défis auxquels de nombreux jeunes sans-abri font face.

Nous avons demandé à Fraser de partager l’expérience de sa nuit dans le froid.

19 h 15 : Je suis à la fois excitée et anxieuse. Je porte trois couches de vêtements et j’ai doublé mon manteau, mon chapeau et mes gants. Je n’aime pas le froid.

20 h 40 : Nous avons notre scénario, notre sac de couchage et notre bâche. Nous allons prendre un autobus pour nous rendre à la gare routière de Newmarket. Je ne viens pas de la région de York, alors je n’ai aucune idée de la direction à prendre. Nous suivons les autres participants en espérant que nous allons dans la bonne direction. Le temps n’est pas trop mauvais (-8 oC). Le bus est déjà bondé, et j’ai un sac à dos et un sac de couchage. Je ne veux pas déranger les gens et je ne veux pas avoir d’ennuis, alors je m’assure de ne gêner personne.

Les sacs commencent à devenir lourds. Nous arrivons à la gare routière et nous nous rendons dans une clinique mobile pour obtenir de l’information sur leurs services, comme le prévoit notre scénario. Notre prochaine destination est le refuge pour hommes Porter Place, où nous espérons pouvoir dormir.

On vient de rater notre bus, alors nous évaluons nos options. Il nous faudrait plus d’une heure de marche pour nous rendre au refuge ou nous pourrions prendre un autobus jusqu’à Greenlane et marcher de là. Le chauffeur d’autobus ne recommande pas de marcher sur ce tronçon de la rue Yonge, car il y a quatre voies sinueuses et il fait noir. Mon véhicule commence à me manquer.

Finalement, nous prenons l’autobus jusqu’à Greenlane et notre équipe de soutien nous emmène jusqu’au refuge pour notre propre sécurité. À mon arrivée, je réfléchis à deux choses : je suis heureuse de ne pas avoir eu à monter cette colline la nuit, mais je pense aux gens qui n’ont pas la chance d’avoir quelqu’un pour les conduire.

Le refuge est plein. Il est minuscule, vétuste, isolé et il aurait besoin d’être agrandi. Il y a un refuge pour les familles juste en face. Il est plus grand et plus accueillant, mais c’est étonnamment le seul de la région et il n’y a pas de garderie. Je commence à me demander comment une personne peut s’affairer à trouver un emploi (ou à conserver un emploi) lorsqu’elle n’a pas accès à une garderie sur place. Le refuge est également au maximum de sa capacité et, de plus, il n’accueille que des familles.

23 h 30 : Nous sommes de retour à l’arrêt d’autobus Yonge et Greenlane. Il fait plus froid dehors (-10 oC), mais heureusement, il n’y a pas de vent. Notre prochain arrêt est le refuge Belinda’s Place. Nous essayons de trouver un moyen de nous y rendre. C’est à 45 minutes à pied. L’autre choix est d’attendre au moins une demi-heure pour le bus. Il vaut mieux continuer d’avancer; au moins, on peut se réchauffer. Il fait sombre. Les trottoirs sont propres, donc ce n’est pas trop mal. Il n’y a personne et la ville semble rude et stérile.

12 h 15 : Nous arrivons saines et sauves. Le refuge est beau, neuf, propre et aéré. Si j’étais sans-abri, c’est ici que je voudrais rester, mais nous devons continuer notre chemin car le refuge est également plein. Il fait -12 oC dehors et il vente plus qu’avant. Nous attendons le bus. J’ai mal aux pieds, le sac est lourd et j’ai froid. Je ne sais pas comment quelqu’un peut faire ça plus d’une nuit.

1 h 15 : Le bus arrive enfin, il est presque vide et il fait chaud. Je suis un peu fatiguée, mais je m’assure de ne pas m’endormir car je ne veux pas rater mon arrêt. Je ne sais pas combien de temps durera ce trajet, donc je ne peux pas vraiment me détendre. Ce soir, je suis toujours sur mes gardes pour une raison ou une autre.

1 h 30 : On doit trouver un endroit où se blottir pour la nuit. Peut-être le Tim Horton’s en haut de la rue? Pas de chance, c’est fermé. Il y a toujours le vestibule de la banque, mais n’importe qui peut entrer, c’est sale, le sol est mouillé, il y a trop de lumière et il fait froid froid. Nous continuons à marcher à la recherche d’un hall d’entrée ou d’une église où nous pourrions rester. Pas de chance.

Nous décidons d’aller dans un autre Tim Horton’s, ce qui ajoute 25 minutes de marche à notre périple. Nous marchons dans un beau quartier, mais les trottoirs sont difficiles à arpenter. Un coyote vient de croiser notre chemin. Nous sommes heureuses qu’il ne nous ait pas remarquées.

2 h 22 : Nous avons de la chance, car le Tim Horton’s de l’hôpital est ouvert 24 heures sur 24. Nous pouvons enfin avoir accès au même niveau de confort qu’à la maison. Je peux recharger mon téléphone, reposer mes pieds et dégeler un peu. Nous pouvons également nous détendre dans la salle d’attente de l’hôpital où il y a des sièges confortables.

Je n’arrive pas à dormir, je ne sais pas si la sécurité, ou n’importe qui d’autre, viendra nous dire de partir. Les gens vont et viennent, ils me regardent bizarrement, mais personne ne dit rien. J’espère que nous pourrons rester jusqu’à 5 h.

5 h 13 : Il est temps de retourner au refuge 360o Kids où notre aventure prendra fin. Je n’ai pas dormi, mais nous étions au chaud, en sécurité et en mesure d’utiliser les toilettes. Il fait encore froid dehors (-13 oC) et la brise est très légère.

La ville semble se réveiller car il y a plus de voitures sur la route. Je me demande ce qu’ils pensent de nous avec nos sacs de couchage.

6 h 02 : On a réussi! Nous sommes de retour au refuge. Il est temps de partager nos expériences. Certains d’entre nous ont dormi dans la rue, d’autres dans le vestibule d’une banque ou dans un café, et quelques braves ont dormi dans un parc. Nous avons tous un plus grand respect et une meilleure compréhension pour ceux qui doivent vivre cette dure réalité chaque jour.

Langley, la compagne de voyage de Fraser, commente son expérience :

« Je suis devenue ce que nous voyons tous les jours dans nos gares. Une personne fatiguée, sans-abri, écrasée sur un banc, ayant besoin d’un peu de chaleur et de repos. Ensuite, comme beaucoup d’autres, j’ai dû me préparer pour ma journée dans les toilettes publiques afin de pouvoir me débarbouiller pour affronter une autre journée au travail. C’est une réalité quotidienne pour certaines personnes, et nous le constatons jour après jour. Ça me fait vraiment penser à l’importance de la gentillesse. Si vous avez la chance d’être en mesure d’aider et de faire preuve de gentillesse, ne manquez pas cette occasion. »

Les participants de l’Expérience 360o ont fait face aux dures réalités de la vie dans la rue. Ils ont dû faire face à des défis tels que trouver un endroit où loger, être constamment attentifs à leur environnement pour tout danger potentiel, supporter le regard des gens, et avoir honte et avoir peur de déranger quiconque.

C’était seulement une nuit. Imaginez la force, la résilience et la maturité qu’il faut pour faire face à cette situation chaque soir quand on est jeune. Pensez-y quand vous serez confortablement emmitouflé dans votre couverture ce soir.

360o Kids a récolté plus de 140 000 $ CA grâce à l’événement 360o Experience, dépassant ainsi son objectif fixé à 125 000 $ CA.

Pour en savoir plus sur 360o Kids et les différentes façons d’aider, visitez www.360kids.ca/


par Amandine Viaud Bilingual communications coordinator